C’est la deuxième fois qu’Angela Merkel va vivre ce moment en tant que chancelière. Treize ans après sa dernière présidence du conseil de l’Union européenne, l’Allemagne s’apprête à prendre de nouveau les rênes de l’UE, pour six mois, ce mercredi 1er juillet. Le calendrier des rotations ayant été établi il y a des années, c’est un hasard si Angela Merkel endosse cette responsabilité à un moment aussi particulier, en pleine crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie de Covid-19.
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Souvent accusée, notamment par la France, de ne pas assez s’engager pour réformer l’Europe, l’Allemagne se sait sous pression. « Nous sommes confrontés à des défis économiques que nous n’avons jamais connus depuis des décennies, et sans doute dans toute l’Histoire », a lancé la chancelière, qui a reçu Emmanuel Macron lundi soir 29 juin au château de Meseberg.
« Tous ensemble pour renforcer l’Europe »
Malgré le sérieux de la situation, l’ironie n’était pas totalement absente de sa bouche devant les députés du Bundestag, le 17 juin dernier. Le slogan choisi par Berlin pour ces six mois de présidence est un pied de nez assumé au président américain, Donald Trump, qui multiplie les coups de butoirs contre l’allié européen, et souhaite « rendre sa grandeur à l’Amérique ». « Tous ensemble pour renforcer l’Europe. Voici notre slogan, et je vais m’y engager de toutes mes forces », a-t-elle lancé.
Même si elle ne l’admet pas, cette présidence revêt une importance particulière pour Angela Merkel, à un an de son départ annoncé de la scène politique allemande, après seize années au pouvoir. « Elle ne se préoccupe pas de sa place dans les livres d’histoire, mais cette présidence va marquer l’ensemble de son travail », analyse Claire Demesmay, de l’Institut allemand de politique étrangère à Berlin (DGAP). « Si elle parvient à animer les négociations et à trouver un accord ambitieux et rapide pour répondre à la crise, sa crédibilité et celle de l’Allemagne en sortiront grandies », juge cette spécialiste.
Virage à 180°
Le temps presse en effet. Au-delà des énormes dossiers que sont le Brexit, le bouclage du budget européen et la lutte contre le réchauffement climatique, la « présidence Corona », comme on l’appelle, souhaite obtenir, le plus rapidement possible, un accord des 27 États membres sur le plan de relance économique lancé le 18 mai par le couple franco-allemand, puis repris et élargi par la Commission européenne.
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Cette dernière propose d’emprunter sur les marchés 750 milliards d’euros, qui viendront abonder le budget communautaire et qui seront destinés aux pays les plus touchés par la crise liée au Covid-19. Sur ce montant, 500 milliards d’euros prendront la forme de transferts et 250 milliards de prêts. Berlin souhaite rallier à cette idée les pays dits « frugaux » (Pays-Bas, Danemark, Suède et Autriche) d’ici au prochain sommet européen fixé aux 17 et 18 juillet, afin que les parlements nationaux puissent ratifier un accord et que l’argent soit débloqué dès 2021.
Pour l’Europe et pour l’Allemagne, ce plan de relance est une révolution. Pour la première fois, l’idée d’une mutualisation des dettes est clairement soutenue par une majorité des États, et notamment par Berlin, longtemps opposée à ce concept. Athènes s’en souvient. Au moment de la crise grecque, en 2010, le gouvernement d’Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble, le père fouettard de la zone euro, avaient freiné des quatre fers sur ce dossier, refusant de faire payer les contribuables allemands pour sauver, sans contrepartie, des Grecs accusés d’avoir creusé leur propre tombe. Sous la pression, entre autres, de Berlin, l’UE avait imposé un plan de restructuration drastique à Athènes.
L’opinion avec Merkel
Dix ans plus tard, finies les postures moralisatrices, les grands pontes de la démocratie chrétienne allemande, à commencer par Wolfgang Schäuble devenu président du Bundestag, soutiennent le plan de relance. Les plus fortes oppositions au sein du Bundestag viennent des libéraux du FDP et de l’extrême droite (AfD). « Contrairement à la crise de l’euro, cette crise n’est pas créée par l’homme mais par un virus. On ne peut en reporter la responsabilité sur personne », expliquait récemment Janis Emmanouilidis, directeur d’études au Centre de politique européenne (EPC) à Bruxelles, lors d’une conférence.
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Daniela Schwarzer, directrice de la DGAP, approuve. « L’objectif de Berlin est clair : ne laisser personne derrière. C’est une question de solidarité mais aussi d’intérêts propres. Un effondrement du marché unique aurait des conséquences catastrophiques pour l’économie allemande. Ce sera un argument clé pour convaincre l’opinion publique et les députés du Bundestag », rappelle-t-elle.
Selon les enquêtes d’opinion, une majorité des Allemands (51 % à la fin du mois de mai) soutiendrait ce plan de relance européen. Selon l’Institut Max-Planck, la population serait même « plus ouverte à l’idée de mutualisation des dettes que ne le pense la classe politique », surtout « pour maintenir l’existence de l’euro ». La Fondation Heinrich-Böll va dans ce sens et note que 70 % des d’Allemands souhaitent un positionnement « actif et coopératif » de leur pays en Europe. Avant la crise du Covid-19, seuls 46 % d’entre eux estimaient que Berlin avait été à l’initiative ces dernières années dans le jeu européen.
La puissance allemande, un tabou
Pour le leadership allemand aussi, cette présidence de l’UE servira de test, même si personne, à Berlin, ne veut le concéder. « La présidence est un travail d’équipe et ne signifie pas que nous dirigerons l’UE pendant six mois », expliquait Michael Roth, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, lors d’une conférence, début juin. « Nous voulons bien sûr que cette présidence soit un succès mais notre mission est de construire des ponts pour trouver un accord. Nous ne voulons pas dominer, mais être un médiateur. Nous voulons combler l’écart entre le Nord et le Sud », égrène-t-il.
Cette retenue habituelle de la part de l’Allemagne contraste avec son poids économique et son influence au sein de l’Europe. « Les Allemands n’aiment pas parler de leur leadership », constate Claire Demesmay de la DGAP. « S’ils sont conscients de leur influence, ils ne la revendiquent pas, surtout dans un contexte où l’intégration européenne est censée mettre les États sur un pied d’égalité. Forcément toutefois, cette présidence aura un impact sur leur leadership », note-t-elle.
Quel que soit le bilan à venir de cette présidence, une chose est déjà sûre. Rarement l’Allemagne et Angela Merkel, plus connue pour ses qualités de stratège que de visionnaire, n’auront joué un rôle aussi décisif sur l’avenir européen. Comme un réflexe immunitaire au chevet d’une Europe malade.
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Les priorités d’un agenda très serré
Face à la multiplication des enjeux et à une capacité d’échange réduite par la pandémie, Berlin a préféré « se concentrer sur l’essentiel » à l’occasion de son semestre de présidence du Conseil de l’UE.
Les 17 et 18 juillet, au prochain Conseil européen, l’Allemagne s’attachera à trouver un accord sur le plan de relance (500 milliards de dette européenne mutualisée au profit des pays les plus touchés par la crise).
D’ici à la fin octobre, Berlin vise la signature d’un texte entre Londres et Bruxelles sur la relation post Brexit, alors que la période de transition prend fin le 31 décembre.
Fin novembre-début décembre, le sommet UE-Chine, initialement prévu en septembre mais repoussé en raison de l’épidémie, pourrait avoir lieu pour décrocher un « accord d’investissement », seulement si l’état sanitaire et la donne géopolitique le permettent.
Le projet de « Pacte sur l’immigration et l’asile », que la Commission doit présenter en septembre après trois reports, ne figure pas au rang des priorités.
July 01, 2020 at 12:22PM
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Présidence de l’UE : un moment clé pour Merkel, l’Allemagne et l’Europe - Journal La Croix
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