Le Ministre de l’Education et l’Académicien présentent un nouveau manuel. La plus puissante des armes pour échapper à sa condition. Extraits de notre grand entretien.
Le samedi matin, le ministre de l’Education nationale est arrivé en retard quai de Conti, à l’Académie française, où le titulaire du fauteuil 17, Erik Orsenna, l’attendait, guilleret, en écoutant le concerto pour 4 pianos de Bach. Jean-Michel Blanquer venait de Matignon où Jean Castex l’avait consulté en vue de la formation du futur gouvernement. Le ministre et l’académicien se tutoient. Ils se connaissent, ou plutôt leurs familles se croisent de longue date car elles partagent le même attachement à l’île bretonne de Bréhat. Enfin, dans un salon voisin de la bibliothèque, là où Claude Lévi-Strauss aimait se reposer avant les séances du jeudi, le ministre et l’écrivain ont parlé grammaire. C’est la publication de deux tomes de terminologie grammaticale, distribués à la rentrée à 380 000 enseignants, qui les réunit.
Paris Match. A quoi sert la grammaire?
Erik Orsenna. La grammaire, c’est la république de la langue, les liens qui existent entre les mots. C’est ce qui donne une structure et une originalité à chaque langue. Chaque mot est une fenêtre sur le réel, et l’articulation des mots traduit une vraie vision. Il existe des langues avec des grammaires très différentes : des langues qui n’ont quasiment pas de grammaire avec des mots juxtaposés et des langues extraordinairement structurées. Cela correspond à une philosophie. En même temps, une grammaire, c’est vivant parce que c’est une interaction et parce que ce n’est pas né d’aujourd’hui. La langue, c’est le chef-d’œuvre collectif. Sa création vient des ancêtres, des brèves de comptoir, des hauts fonctionnaires… Il n’y a pas d’élite dans la langue. Je ne comprends pas que l’on ne savoure pas ce cadeau collectif et gratuit. Si on me disait : «Tu ne peux plus lire et écrire le français mais, en échange, tu auras une autre langue…», je serais déchiré. J’aurais perdu un univers et j’en aurais gagné un autre. Mais dire que l’on va échanger ce trésor de douze siècles pour 500 mots, c’est comme si, à la place de nos merveilleux repas, nous ne mangions que des pilules…
Jean-Michel Blanquer. La langue, c’est ce qui nous libère. Elle repose sur le vocabulaire et la grammaire. Le premier peut être comparé à des personnes dans une société, la seconde à la relation de ces personnes entre elles. Comme l’a dit Erik, ce système est d’une richesse et d’une puissance de structuration fondamentales, non seulement au service de la maîtrise de la langue, qui amène à la maîtrise de soi et à la liberté, mais aussi au service de la vie collective.
Pourquoi vouloir la défendre aujourd’hui?
J.-M.B. C’est un sujet parfois trop implicite que nous avons besoin d’expliciter. Avec ces deux tomes, nous avons désormais une référence pour l’école primaire, le collège et le lycée qui répond à un impératif d’unité. Il faut faire comprendre en quoi cela n’est pas une marotte nostalgique. Perdre cela, ce serait perdre ce qui fait la vie. Cette dimension structurante est essentielle et quand, par une quelconque démagogie, on s’abstient de transmettre, on fait du mal aux enfants. C’est une clé pour la lecture et l’écriture…
E.O. La clé qui permet de sortir de la prison. Quand vous ne maîtrisez pas la langue, vous êtes assigné à résidence, en dessous de vous-même. Ne pas avoir une langue, c’est s’empêcher de vivre, c’est sous-vivre. Sans cette maîtrise de la langue, on est confiné à vie dans les sous-sols de la société.
Retrouvez l'intégralité de cet entretien et nos photos dans Paris Match n°3715, en vente dans les kiosques et sur iPad.
July 16, 2020 at 01:20AM
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Erik Orsenna et Jean-Michel Blanquer : "La grammaire, c'est la clé de la liberté" - Paris Match
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